L’une des manifestations typiques de la culture des grandes monarchies absolues, dès l’époque moderne, fut la volonté de décentraliser le siège du pouvoir par rapport à la ville dont le tissu se présentait comme le produit d’une bourgeoisie marchande et foncière en forte expansion.
L’objectif était double.
D’un côté il y avait le désir de se soustraire aux risques liés à une proximité excessive avec le peuple, toujours dangereuse, et de l’autre, satisfaire le besoin d’un contact avec les espaces naturels qui s’accompagne toujours d’un désir croissant d’espaces architecturaux fastueux, en perpétuel dialogue avec un cadre paysager irréalisable dans une dimension urbaine, en particulier si elle est caractérisée par la surpopulation.
Cette tendance trouve déjà son origine au XVIIe siècle avec la construction du château royal de Hampton Court1
, près de Londres, auquel suit rapidement dans toute l’Europe la réalisation d’autres résidences périphériques comme l’Escorial près de Madrid, Versailles près de Paris, Nymphenburg près de Munich et Schönbrunn près de Vienne.
Cette tendance se poursuit durant tout le siècle suivant, jusqu’au nouveau royaume autonome napolitain quand Charles de Bourbon, impressionné par la beauté des lieux, met en œuvre un vaste et difficile programme architectural qui porte à la réalisation du Palais royal de Capodimonte (1735) à Naples, de Portici (1738) et de Caserte (1751).
Afin de suivre la Cour et son penchant pour les amusements, l’aristocratie napolitaine, rendue curieuse par les premières découvertes archéologiques d’Herculanum, choisit la fertile et encore intacte campagne vésuvienne proche du Palais royal de Portici, confirmant de cette manière une tendance spontanée déjà existante qui avait amené le roi à résider dans une villa aristocratique sur les pentes du Vésuve, bien encore avant que le Palais royal ne soit fini.
Pour adoucir les journées d’été et réaliser les nouvelles résidences, la noblesse napolitaine riche et puissante s’en remet à d’authentiques talents : de M. Gioffredo à F. Sanfelice, de D. A. Vaccaro à F. Fuga et même à Luigi Vanvitelli, le préféré du Roi…
C’est ainsi que naît le réseau des 122 villas vésuviennes du « Miglio d’oro » c’est à dire l’ancienne Route royale de Calabre – qui relie Naples avec les communes de Portici, Herculanum, S. Giorgio a Cremano et Torre del Greco – et ses principales ramifications. Parmi ces splendides témoignages d’architecture du XVIIIe siècle nous trouvons les Villa Bruno, Villa Pignatelli di Montecalvo, Villa Vannucchi, Villa Campolieto, Villa d’Elboeuf, Villa Prota et Villa Favorita.
Il existe deux différents types de villas vésuviennes : celles, moins nombreuses et plus isolées, situées sur les pentes du Vésuve, pour lesquelles la fonction agricole est plus importante, et les villas « de plaisir », situées pour la plupart sur la côte.
Les dernières, véritables résidences pour la villégiature, ont la même position que les palais nobiliaires de la ville, avec leur façade principale sur la rue ; en même temps, elles maintiennent un lien avec la campagne alentour grâce à leurs vastes jardins et parcs.
Leur structure est complexe puisqu’une perspective profonde se déploie de la porte d’entrée jusqu’à l’atrium, la cour, jusqu’aux jardins et se termine avec une niche ou un coffeaus2
situé au bout de ces jardins « scénographiques ». Selon le goût typiquement baroque, ont été créés des effets dynamiques, avec, tout au long de l’axe principal, une succession d’axes transversaux qui viennent le couper et le rythmer ; dans l’atrium, c’est le large escalier en marbre ou piperno qui forme ce nouvel axe tandis que la cour s’élargit elle même sur les côtés en forme d’exèdre elliptique. Celle-ci, fermée en plusieurs parts par des grilles en fer forgé, est un espace ouvert sur le jardin.
Cette perspective, qui lie architecture et nature, représente l’aspect le plus significatif des villas, outre le vaste programme décoratif de très grand effort. La décoration des intérieurs est en « style rocaille » caractérisé par des jeux de clair-obscur et des formes précieuses et légères avec l’apparition de masques, dauphin, coquilles, feuilles, dans une succession de salons, de petits salons, de salles de conversation, de boudoirs, de précieux bibelots, de terrasses panoramiques, de riches pavillons et jardins luxuriants. La composition générale, en refusant toute recherche d’eurythmie, reprend la ligne serpentine avec des effets d’enroulement et des effets plastiques sensuels. Ces élégantes scénographies créent un univers suggestif, expression de la société excentrique de l’époque, et instaurent un art qui devient une véritable expression de l’esprit. En effet, il s’agit d’un art qui incarne l’esprit du lieu et de ses couleurs, qui représente l’exubérance de ses habitants, leur fantaisie et leur amour pour la nature et la vie.
La quintessence de ces nombreuses villas est leur caractère éphémère et réside donc dans leur fonction hédoniste, dans l’étalage du luxe de leurs soirées, faites de cocktails, de chasses et de rencontres musicales dans une société devenue légère et libertine. La terre des délices est, par exemple, minutieusement décrite dans la carte topographique par le Duc de Noja en 1775 où, le Miglio d’oro devient la merveille d’une nature luxuriante et admirablement adoucie par l’art ancien des parcs et des jardins. L’atmosphère du paysage italien au sud-ouest du Vésuve est aussi admirablement décrite par Goethe en 1787 dans ses nombreuses lettres et ses carnets de voyage où on lit *«…collines buissonneuses, douces prairies, champs fertiles, jardins ornés, arbres cultivés, vignes pendantes, montagnes nuageuses et plaines toujours riantes, écueils et récifs, mer, qui environne tout, avec mille variations et mille changements, tout cela est .présent à mon esprit» et encore «…Si à Rome on étudie volontiers, ici on ne veut que vivre; on oublie et le monde et soi-même…»* Cependant, la splendeur du Miglio d’oro commence à décliner dès 1839 avec la construction de la première ligne du chemin de fer d’Italie, une ligne qui a interrompu la continuité entre la route et la côte. Heureusement, une loi de 1971 a institué l’*« Ente Ville Vesuviane »* dont le but était de récupérer et de sauvegarder le prestigieux patrimoine architectural des villas du XVIIIe siècle, même si l’originelle et intime liaison entre l’architecture, la nature et le territoire de cet endroit à été rompue avec la transformation de la plupart des jardins. L’*Ente Ville Vesuviane* a empêché la ruine et la destruction de nombreux édifices en leur offrant un nouvel essor grâce à la réalisation de plusieurs activités culturelles de la part d’intellectuels qui ont à cœur de faire redécouvrir les traditions du XVIIIe siècle parmi toutes les activités proposées aux visiteurs. Le « Festival des Villas du Vésuve »3 remporte un très grand succès et fête en 2016 sa 28e édition.- En 1689, Guillaume III et Marie II ordonnent à Sir Christopher Wren, l’architecte qui venait de reconstruire Londres après le grand incendie de 1666, de démolir le château d’Henri VIII et de construire un nouveau palais à Hampton Court. ↩
- kiosque de jardin au XVIIIe siècle qui servait de lieu de rafraîchissement et de repos. ↩
- www.festivalvillevesuviane.it ↩